Julien Derobe : "Le métier d’analyste vidéo a toute sa place dans le staff"

6/10/2021

Vous êtes aujourd’hui analyste vidéo indépendant et vous travaillez pour la sélection Guinéenne. Comment êtes-vous arrivé à ce métier ? Quelles formations avez-vous suivies ?

En fait, j’étais entraîneur depuis que j’ai 20 ans. J’ai passé une détection auprès de la fondation du PSG pour être éducateur pendant que j’étais étudiant. Passionné de football, j’ai donc travaillé huit ans au Paris Saint-Germain. J’ai occupé des places d’éducateur, de coordinateur au niveau de la formation du club de la capitale. On s’occupait de tout ce qui était événements, stages, opérations caritatives et tournois. J’ai passé mes diplômes à Clairefontaine avec le BE1 puis jusqu’au DEF. J’ai enchaîné avec des diplômes de management du sport avec une envie constante d’apprendre tout au long de mon parcours. J’ai ensuite changé de club en partant dans un club amateur où j’étais responsable technique (Salésienne Paris). J’ai occupé aussi le poste d’entraîneur universitaire avec Sciences-Politiques. Et puis, de plus en plus, je faisais du consulting pour du cinéma, c’est à dire pour l’image et pour des films, des pubs. J’apprenais aux acteurs à jouer au football, sur tout le panel technique mais aussi sur tout ce qui était chorégraphie des actions et consulting global en fait. Je me suis dit : “Qu’est ce qui pourrait lier ma fonction d’entraîneur avec celle de l’image ?” Et donc j’ai vu qu’il y avait un nouveau métier qui émergeait qui était l’analyste vidéo. J’ai commencé une formation et avec mon bagage d’entraîneur, j’ai trouvé que ça m’allait assez bien.

Pourquoi avez-vous travaillé avec des sélections africaines ?

J’ai commencé avec la sélection du Tchad avec Emmanuel Trégoat parce que c’était un coach avec lequel j’avais déjà travaillé, qui m’avait déjà proposé de partir avec lui pour m’occuper des sélections jeunes au Tchad. Après d’autres opportunités se sont présentées avec la sélection des Comores, la République Démocratique du Congo et aujourd’hui avec la Guinée. Il y a eu des problèmes de déplacement avec certaines sélections durant la période de Covid mais j’ai pu continuer à travailler à distance en analysant les matches.

Pourquoi est-ce important de se former ?

C’est un métier nouveau, il y a de plus en plus de formations. Avec FRFP, depuis l’année dernière, on collabore pour mettre en place cette formation avec Souleymane Camara, Thomas, Anthony et Rachid Khlifi. Le monde du football évolue, il y a de plus en plus de données, d’images, d’informations qui sont disponibles à un prix qui devient de plus en plus accessible. Le métier d’analyste vidéo a toute sa place dans le staff pour conseiller le coach, faire des retours à l’équipe sur le dernier match, pour préparer le prochain adversaire (connaître les points forts, points faibles, points clés de l’équipe, son style de jeu et de pouvoir présenter cela sous forme de rapport vidéo ou data en compilant les informations les plus pertinentes). Tout cela fait partie de pleins de petits détails qui permettent d’optimiser la performance et de préparer son équipe. Avant, il n’y avait pas d’analyste vidéo. C’est apparu en Espagne, en Angleterre et les autres championnats ont suivi et puis là de plus en plus avec les sélections nationales aussi on se rend compte qu’avec le temps de préparation qu’il y a, c’est indispensable de savoir quel va être notre projet. On peut faire des retours individuels ou collectifs. Après tout dépend du management du coach, de l’équipe et du contexte dans lequel vous travaillez, et des outils dont vous disposez.

«Mettre en place une cellule sur du long terme apporte des bénéfices en termes de résultats sportifs»


Vu de France, on peut avoir l’impression que l’analyse vidéo en Afrique doit être difficile. Où en est un peu le continent en termes de captation de matches, de formation à l’analyse vidéo, etc. ?

Je ne vais pas vous dire le contraire (sourires), mais en même temps c’est passionnant car il y a tout à mettre en place. Au Tchad, je suis arrivé il n’y avait jamais eu d’analyste vidéo. Quand vous arrivez, il y a un grand chantier à faire, beaucoup de choses à mettre en place, c’est très motivant. Avec les Comores, Amir Abdou avait déjà collaboré avec quelques analystes mais c’était plus à temps partiel et à distance. Là, c’était l’étape supérieure. En RDC, il n’y en avait jamais eu et en Guinée non plus. A chaque fois, j’ai un peu l’impression d’être un pionnier. On entre par la petite porte mais en même temps on apporte des outils nouveaux. On peut dire qu’on en est au balbutiement avec les sélections nationales africaines. Maintenant avec les outils qu’il y a, comme les plateformes Wyscout, Instat, Be Pro, vous pouvez récupérer pratiquement tous les matches du monde jusqu’en troisième division. La vidéo couvre l’intégralité des matches professionnels, et commence aussi à se mettre sur les matches amateurs. Donc c’est ça qui permet aussi d’avancer et d'aller sur de nouveaux terrains comme l’Afrique sur l’analyse vidéo.

Y-a-t-il des inégalités territoriales, y compris en Afrique, dans ce domaine ?

En effet, on n’est pas tous égaux en termes de budgets, de moyens, d’organisation. Il y a de vraies différences. On était en contact avec l’analyste vidéo de l’Algérie qui l'a mise en place il y a longtemps. Ils ont un mode de fonctionnement et c’est ancré dans les mentalités. Ils utilisent la vidéo chaque week-end pour suivre chaque joueur susceptible de jouer pour la sélection. C’est tout nouveau pour certaines sélections, mais d’autres sont bien en avance sur d’autres comme le Sénégal ou l’Algérie. On voit que ça leur apporte des bénéfices en termes de résultats quand ils arrivent à mettre en place une cellule sur du long terme.

La sélection guinéenne où l'on retrouve notamment des joueurs bien connus en France et en Europe comme Naby Keita, Florentin Pogba, François Kamano ou Mohamed Bayo.


Comment l’analyse vidéo peut permettre à des plus petites nations de concurrencer les grandes ?

Tout simplement, de part mon expérience, déjà par rapport au recrutement pour suivre les joueurs parce que quand vous êtes sélectionneur d’une équipe nationale, que vous êtes à des milliers de kilomètres, et qu’il y a des joueurs qui ont la double nationalité, vous devez les identifier. C’est déjà un premier moyen d’avoir un retour positif avec l’analyste vidéo. Vous pouvez les suivre, savoir s’ils sont performants avec leur club, voir les vidéos en direct chaque week-end donc ça vous permet d’être un peu plus près de votre équipe, d’optimiser vos souhaits des joueurs que vous allez prendre et également découvrir de nouveaux talents. Si on est une plus petite nation, vous allez regarder comment joue votre prochain adversaire. Par exemple, s’ils sont plus performants sur coups de pied arrêtés, peut-être que vous allez préparer des séances d’entraînement qui vont vous permettre de mieux pouvoir neutraliser l’équipe adverse. C’est très large, tout dépend de la démarche de l’entraîneur, de sa philosophie de jeu, mais vous allez de toute façon apporter des éléments qui vont être déterminants sur les adversaires que vous allez rencontrer. Vous savez comment ils jouent, à partir de là, vous pourrez mieux les contrer et exploiter leurs failles.

«Quand vous mettez le pied à l’étrier, ça vous ouvre certaines portes. Vous vous rendez compte qu’il y a plein de choses à faire, c’est un terrain de jeu mais aussi un terrain de découvertes»


En quoi consiste votre mission auprès de Didier Six, ancien grand international français et désormais entraîneur de la Guinée ?

Moi j’ai de très bonnes relations avec Didier Six, c’est passionnant de pouvoir travailler avec lui parce que c’est un grand monsieur du football. Il s’est installé en Afrique, il a eu plusieurs expériences dont notamment avec le Togo. Je continue à apprendre à ses côtés. Après, vous êtes en relation avec tout un staff donc il faut apprendre à fonctionner ensemble et de pouvoir être sur la même longueur d’ondes, être en cohérence avec tous les différents départements (préparateur physique, cellule médicale…) et de pouvoir se montrer utile à tous les niveaux. Maintenant, nous, on fait des rapports et des séances d’analyse vidéo avec les joueurs. On cherche le meilleur moyen de les partager aussi bien sur le projet de jeu, que des retours sur les matches, que de la préparation face aux prochains adversaires pour voir comment on peut exploiter les faiblesses adverses.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler auprès de sélections africaines ?

Quand vous mettez le pied à l’étrier, ça vous ouvre certaines portes. Vous vous rendez compte qu’il y a plein de choses à faire, c’est un terrain de jeu mais aussi un terrain de découvertes. Vous rencontrez d’autres personnes, le monde du football est lié aux rencontres, et, de fil en aiguille, vous découvrez aussi d’autres équipes, et vous vous dites “tiens, ça pourrait être un challenge intéressant de pouvoir justement être en contact avec cette équipe”. A la base, moi c’était avec un ami qui était sélectionneur du Tchad et ça s’est terminé parce qu’il y avait un contexte politique difficile. Après, on rebondit, on a envie de continuer et puis, il y avait la CAN qui était l’objectif aussi de pouvoir faire cette compétition. Là, c’est dans trois mois, de pouvoir se préparer, jouer une compétition comme ça c’est quelque chose d’exceptionnel ! Là on est en qualifications pour la Coupe du Monde, donc comme il y a eu le Covid, tout s’enchaîne très rapidement. Il y a un temps de préparation plus court, mais nous on va essayer d’accrocher le Maroc et la Guinée Bissau. Le prochain match, c’est contre le Soudan. Ça va être des matches pour voir où on se situe pour la CAN, on est dans une poule avec le Sénégal. Donc oui, j'ai très envie de continuer avec la sélection nationale de Guinée. Dans le football, en fonction des résultats, vous avez des opportunités. Je continue à travailler avec l’école ici à Paris. L’année dernière, j’étais en collaboration avec des clubs de National aussi. Être en freelance me donne cette liberté de pouvoir travailler sur différents projets en même temps.

Lors du dernier rassemblement, il y a eu un coup d’Etat en Guinée. Les joueurs ont notamment été bloqués plusieurs jours à leur hôtel. Comment avez-vous vécu cela ?  

Quand vous allez en Afrique, il y a toujours beaucoup d’incertitudes. Quand vous avez préparé quelque chose, vous n’êtes pas sûr le matin que le soir se passe comme vous avez prévu. Dans le pays, ça se sentait qu’il y avait un climat particulier au niveau politique. Nous, on n’était pas, contrairement au Maroc, juste à côté des fusillades mais il y avait toujours beaucoup de questions qui se posaient. Le match va-t-il avoir lieu ? Comment on va rentrer ? Les clubs étaient également inquiets car ils avaient des matchs trois ou quatre jours après. Quand vous êtes dans un pays où ça bouge beaucoup, comme c’est le cas en Guinée avec le coup d’Etat, c’est le cas aussi au Soudan où il y a eu une tentative, vous dépendez d’un environnement et d’un contexte politique. A partir de là, la FIFA va sûrement remettre les matches sur un terrain neutre, peut-être au Maroc ou ailleurs, où il n’y aura pas cette insécurité. Son premier rôle est de sécuriser tout ça pour que les joueurs puissent venir jouer en sélection.

Est-ce que ça peut vous faire peur, vous démotiver à poursuivre votre travail ?

Ça ne me démotive pas du tout. Notre mission est très importante. Tout le peuple guinéen a beaucoup de ferveur et suit l’équipe nationale. Personne n’a ça en tête. En termes d’organisation, le prochain match est le 6 octobre et on ne sait pas encore où on va jouer. Il y a donc plein de questions sans réponse. Il faut pouvoir s’adapter, c’est la grande clé. Parfois on essaye de faire au mieux, on n’est pas dans des conditions parfaites. Les compétitions, on a très envie de les jouer, que ce soit moi ou toute l’équipe. Tout le monde va répondre présent quelque soit le pays où on va jouer.

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